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La disparition des reliques
Un beau matin, Édouard reçut une
lettre estampillée de la congrégation des moines bénédictins, acceptant sa
demande pour devenir novice. C’était un jeune nobliau, tout juste âgé de 25 ans
qui n’avait jamais quitté le domaine seigneurial et familial ; il redoutait
et s’impatientait à la fois de faire ce pèlerinage jusqu’au Mont Saint-Michel.
Le voyage risquait d’être périlleux et au-delà des bandits de grands chemins,
il devrait traverser la baie si réputée pour sa beauté, mais aussi pour ses dangers.
Il ne savait pas ce qui l’attendrait au détour de son périple, cependant il avait
confiance en Dieu pour guider ses pas jusqu’à l’abbaye et sans encombre.
Dès l’aube il partit, accompagné
d’un groupe de pèlerins qui se dévouaient à leur foi. Moultes embûches dues à
l’hiver pluvieux de Normandie, ainsi que moultes embuscades de brigands eurent
raison de leurs équipages. Nombreux furent ceux qui rebroussèrent chemin,
nombreux furent ceux qui y perdirent la vie. Finalement, seul et armé de ses
prières, Édouard entama la longue traversée de la baie, jusqu’à
Tomblaine ; où y brûlant sa dernière bougie, agenouillé devant l’éternel
et le mont presque à ses pieds, il demanda une ultime protection à Dieu.
Bravant le brouillard, les sables mouvants, et la marée qui remontait à une
allure diabolique, son fidèle destrier le tira de tous ces dangers. En vie et
trempés de bruines, ils passèrent le pont-levis, les sabots de Graal résonnant
sur les pavés de pierre dominés par les hautes murailles et l’abbaye ; En
haut du clocher, Saint-Michel brillait de tous ses feux et perçait la brume de
cette fin de journée de ses éclats dorés, tels des rayons prophétiques éclairant
chacun de ses pas jusqu’à l’auberge de l’entrée du Mont.
Un homme trapu et de petite
taille, vêtu d’un tablier de maréchal charbonneux de suie, sortit par-dessous une
potence, forgée à l’image d’un cheval qui se cabrait et aussi noir que
l’ébène ; une pancarte gravée dans le bois annonçait : au cheval
blanc. D’un vulgaire signe de tête, sans un regard, il saisit Graal d’une rêne
et l’emmena jusqu’à une porte de box, où la douce odeur du foin et du mash le
rassura sur le gîte et le couvert de son cher compagnon.
Face aux écuries, un moine tonsuré
au visage rond et bienveillant, l’accueillit devant le pas-de-porte de
l’auberge qui diffusait une lumière orangée et une odeur réconfortante de feu
de bois, associée au plus doux des fumets de gibier. Alors que l’eau à la
bouche, il laissait à regret ce confort derrière lui en suivant le religieux,
il se retourna instinctivement vers ce lieu hospitalier et vit que l’enseigne
de l’hôtel n’était autre qu’un cheval se
pointant, aussi blanc que son comparse d’en face était noir, lui laissant un
arrière-goût de mauvais pressentiments et d’angoisses...
Passant un porche sombre, où leurs
pas raisonnèrent autant que son imagination s’enflammait, il observait les
pierres dégoulinantes d’humidité et de salpêtre, ainsi que la petite ruelle qui
se rétrécissait face à lui et s’élevait vers l’abbaye, bordée d’échoppes
fermées et ornées de potences noires. Soudain, un coup de vent fit grincer une
enseigne en forme de licorne, tandis que déstabilisé, il trébucha sur un pavé plus
épais et glissant que les autres. À terre et peinant à se relever, il aperçut
alors entre deux boutiques, une silhouette encapuchonnée, revêtue d’une bure
aussi noire que la nuit. Elle s’engouffra
dans un petit passage aussi large qu’un couteau, et seul l’éclat d’un
crucifix ivoire, doté de deux rubis aussi éclatants que les flammes des enfers,
réverbéra les premiers rayons de la lune.
Encore sous le choc de cette
apparition démoniaque, il se signa fébrilement et courut se réfugier auprès du
moine qui semblait ne pas faire cas des petits pavés aussi glissants que des
savonnettes, tenant fermement dans sa main un flambeau. Rien ne pouvait
distraire Édouard de la longue montée de cette ruelle ; les échoppes avec
leur étage en encorbellement étaient aussi sombres que fermées avec de lourdes
chaînes cadenassées. Leurs habitants avaient délibérément quitté leur lieu de
travail et d’habitat. Mais pourquoi ?
Tout à ses réflexions, ils
abordèrent une longue et interminable volée de marches, la torche crépitante
faisait vaciller leurs ombres, qui se dessinaient le long des murets ruisselant
des embruns de la journée. Ses jambes le brûlaient de fatigue et au bout d’un
énième palier, il vit au bout du virage, l’abbaye se dresser devant lui. Encore
fallait-il grimper un escalier qui semblait aussi interminable qu’à pic !
Dieu le mettait à l’épreuve…
Sous un préau reposant sur des
piliers d’ogives, le moine bifurqua brutalement, le laissant sur le seuil et dans
le noir, armé de son courage comme seul bagage. Alors qu’une lueur orangée
s’agrandissait au fur et à mesure qu’une ombre progressait le long des voûtes
de pierre blanches, un mélange de panique et d’adrénaline lui emplit les
veines. Un homme aussi fin que de haute stature, le nez aquilin, les lèvres
minces et pâles, les yeux enfoncés, petits, presque aussi glauques et pervers,
qu’un lion affamé dans une arène, le fixa intensément. L’instant semblait
s’éterniser, pas un souffle de vent, ni un mouvement de cils ne bougeait chez
ce bénédictin. Seul, son crucifix, ivoire orné de deux rubis éclatants, dansait
encore le long de sa bure noire. Édouard, interloqué, contrôlait ses pensées,
la vocation et le vœu de pauvreté mis à l’épreuve par une certaine réalité…
─ Veuillez me suivre
jusqu’à l’aumônerie, où le prieur se chargera de vous conduire à l’hôtellerie
afin de vous y installer pour la nuit. Le deuxième étage et la salle des hôtes
ne sont pas accessibles pour le moment, annonça l’abbé aussi froidement qu’un
crotale mort depuis deux semaines.
N’osant répliquer, son ventre
gargouilla une insalubre réponse, mais l’abbé l’avait déjà devancé sans tenir
compte de l’être humain qu’il était censé accueillir. Le long d’un interminable
couloir, aucun flambeau ne brillait. Arrivés dans une longue salle faite de six
piliers centraux, le prieur l’attendait et Édouard se retournant pour saluer le
prêtre, constata qu’il avait déjà disparu.
─ Suivez-moi et en
silence, marmonna un être aussi éthéré que livide, au point que l’on aurait pu
passer la main à travers lui, tellement il était frêle.
─ Puis-je solliciter
un repas chaud afin de me remettre d’un long périple ? répliqua Édouard.
Pour toute réponse, le prieur
jeta un œil aussi gris qu’un poisson mort depuis 10 jours sur un étal de
marché, vers une petite pancarte en bois, où dessus était gravée une citation
de Saint Benoît.
« Ne point aimer à parler
beaucoup, aimer le jeûne »
Au moins si lui avait compris,
son estomac devrait s’en satisfaire, l’épreuve était rude et longue ;
quant à sa foi, elle semblait vaciller… Au dortoir de l’hôtellerie, il
s’écroula de fatigue, encore tout habillé de ses vêtements humides et poisseux,
sans même que le prieur lui eut accordé le moindre regard en fermant la porte
de son réduit.
La nuit fut de courte durée, une
heure ? Deux heures ? Édouard se réveilla trempé de fièvre, avec des
difficultés pour respirer. Des cris, une odeur âcre de fumée et les
crépitements du bois le ramèrent brusquement à la réalité. Ce n’était pas lui
qui avait trop chaud, mais les linteaux de bois de sa chambre qui étaient en
flammes.
D’un bond il se jeta sur la
porte, qui fermée à double tour, ne rencontra que son épaule, douloureuse… Il
lança son épée au travers de la clenche en fer qui céda dans un bruit de
ferraille rouillée. L’appel d’air raviva encore plus les flammes léchant
maintenant les murs. Encerclé, il courut le long d’un corridor et croisa des
moines affolés, armés de brocs, comme si un peu d’eau bénite pourrait éteindre
toute cette folie !
Édouard filait entre les moines qui
arrivaient en masse se faire griller comme des moucherons sur une torche. Arrivé
devant un grand escalier, le fameux Grand Degré l’attendait de pied ferme pour
l’emmener vers la deuxième étape de son épreuve et le deuxième étage de
l’abbaye.
Étonnamment calme, ce niveau ne
reflétait pas l’aile en flammes de l’hôtellerie, étouffante, toxique de fumée
et aussi terrifiante qu’une traversée vers l’enfer. Il ne croisa ni prieur, et
encore moins l’abbé et se dépêcha de foncer jusqu’aux appartements de ce
dernier, espérant trouver des réponses. Bifurquant à droite du Grand Degré, il
s’aperçut qu’il était arrivé dans la crypte des gros piliers, et qu’il avait
raté la sortie des appartements abbatiaux. En rebroussant chemin, il laissa son
cœur le guider vers un petit passage, qui l’emmena jusqu’à la chapelle
Saint-Martin. À genoux devant l’autel, il pria, mais juste avec son cœur et la
peur qui le taraudait pour les moines, risquant de finir aussi grillés que des
langoustes un jour de fête.
Aussi étrange que tout ce qui fut
lors de cette soirée, une explosion illumina le ciel et un vitrail éclaira une
porte dérobée au coin du chœur, tel un signe divin. Ni une, ni deux, il prit
ses jambes à son cou et courut à en perdre haleine le long du couloir, puis déboula
en travers du Grand Degré qui faisait face à une petite ouverture dissimulée
dans l’obscurité. Il s’engouffra à l’intérieur et après un escalier en
colimaçon, il faillit s’étaler de tout son long en se prenant les pieds dans un
tapis persan. La pièce spacieuse et agrémentée d’un mobilier de très belle
facture détonnait par rapport à l’environnement qu’il venait de quitter, aussi
austère et désert que Gobi lui-même.
Soudain, de faibles gémissements
l’interpellèrent et il se dirigea vers la source du bruit. Contournant un
bureau en bois de rose et en cuir fauve, il ne rencontra qu’un meuble orné
d’une scène biblique, retraçant l’épisode de Saint Michel terrassant le dragon.
Les gémissements se transformèrent en cris angoissés et il tenta bêtement de
percer ce buffet en chêne sculpté dans la masse, à coups d’épée ! Autant
finir de creuser la tombe du pauvre hère qui gisait à l’intérieur avec une
cuillère en bois ! Mais c’était sans compter l’éclat du divin sur la lame,
car elle ripa le long du cou du dragon et s’enfonça à l’intérieur, créant un
déclic qui déclencha l’ouverture de cette prison.
Quelle ne fut pas sa surprise
quant au lieu d’un être à l’agonie, il rencontra un escalier qui descendait
dans les abysses des enfers ! À moins que ce dernier devienne pavé de
bonnes intentions, ce dont le preux Édouard doutait sérieusement, il se sentait
de plus en plus investi d’une mission divine ; il n’hésita pas un instant
et descendit l’escalier, aussi glissant que les pavés des ruelles. Il déboucha
sur une pièce à plafond bas, où un homme gisait à même la pierre dans la tenue
abbatiale, ligoté tel un saucisson.
─ Vite ! Les
reliques ! Il a volé les saintes reliques, répétait en boucle le saint
homme, les yeux exorbités, la peau déshydratée et fripée comme un vieux
parchemin, laissant Édouard dans le plus grand des tourments.
Celui qui a fait cela goûtera au
fil de son épée, foi de fils de templier ! Il le jura devant Dieu, et
comme il n’avait pas encore prêté serment à une vie de novice bénédictin, il était
encore libre d’occire qui osait s’en prendre à un représentant de Dieu. La rage
l’empoigna et il coupa avec autant de fureur les liens qui cisaillaient les
articulations du pauvre abbé.
─ Quel est le félon
qui a osé vous infliger un tel supplice ? Que je lui passe mon épée en
travers de son cœur sans vie !
─ L’abbé qui se fait
passer pour moi et qui m’a trahi avec un faux émissaire et parchemin de notre
bien-aimée Pape. Il m’a enfermé ici depuis des semaines, me maintenant en vie
afin de savoir où étaient cachées les saintes reliques. Malheureusement ce
soir, vous les lui avez apportées sur un plateau d’argent !
─ Que
dites-vous ? Impossible, je n’ai croisé cet immonde personnage qu’au pied
de l’abbaye et il y a quelques heures seulement !
─ Non, vous ne
comprenez pas ! C’est vous qui deviez me remettre la clef, par
l’intermédiaire de votre père, le gardien de l’ordre des reliques.
─ Pardon monseigneur,
mais auriez-vous bu ?
─ Non, pas depuis des
jours et à mon grand désarroi ! Écoutez et silence ! Votre père est
un templier et était le gardien de la clef où sont conservées les reliques.
─ Certes mais moi,
que puis-je faire ?
─ Il faut vite
arriver avant ce traître, si nous ne voulons pas qu’elles soient vendues pour
quelques coffres d’argent à des infidèles ! Il a dû forcément voler la
clef pendant votre sommeil.
─ Je vous jure que je
n’ai point transporté de clef !
─ La clef, c’est la
pièce qui permet d’accéder au Graal, aux saintes reliques ! s’écria l’abbé
entre deux quintes de toux, un filet de sang s’écoulant du coin de ses lèvres.
─ Graal ! Vous
avez prononcé le nom de mon cheval !
─ Voilà qui permet
d’y voir clair, votre cheval est la clef. Trouvez-le vite et allez quérir les
reliques avant que cet abbé de pacotille ne les vole ! Vous devrez les
emmener sur la terrasse de l’ouest, au troisième étage, là vous verrez des
chiffres de gravés. Des chiffres pairs, l’infini est la clef de la pyramide…
Vite … Courrez…
Dans un dernier souffle, l’abbé
s’éteignit dans les bras d’Édouard qui le souleva délicatement et alla
l’étendre sur le lit de brocart et de soie, ressemblant si peu à cet homme de
foi. Déterminé, il fila plus vite que ces jambes le portaient et il croisa des
moines barbouillés de suie, en traversant les couloirs du premier étage. Au
détour d’un pilier un moine l’interpella, c’était celui de l’auberge, toujours aussi
jovial que son sourire bon enfant.
─ Vite venez, je vais
vous aider à mettre en sécurité les reliques !
─ Comment êtes-vous
au courant ?
─ Les voies du
seigneur sont impénétrables et en l’occurrence, il m’a doté d’excellentes
oreilles qui m’ont permis d’espionner le traître, et de savoir qu’il est en ce
moment même en train de récupérer Graal pour obtenir la clef !
─ Nom de dieu !
─ Ah ! On ne
blasphème pas dans la maison du seigneur ! s’écria le moine, en pointant
le doigt vers Édouard, redressant sa tête chauve et sa bedaine simultanément dans
un élan de paternalisme. Allez, dépêchez-vous ! Ce vilain ne connaît pas
les raccourcis pour arriver aux écuries !
Les raccourcis en question furent
aussi étroits que des trous de souris, et consistaient en différents passages,
traversant de part en part le Mont et les maisons qui y étaient accolées. Le
moine bien que loin d’être svelte et athlétique, devançait Édouard de deux longueurs,
se retournant vers lui comme s’il était un boulet à ses pieds ; il soupirait
en marmonnant à chaque nouveau virage. L’eau croupie des égouts rendait encore
plus visqueux les pavés, et Édouard ressemblait à un grand échalas aussi souple
qu’une gazelle dans un marécage.
─ Seigneur, votre
amour m’éclaire chaque jour, mais là ! Pourquoi m’envoyez ce jeune benêt
aussi agile qu’inutile ! Seigneur éclairez-moi ! s’écriait le moine en
secouant la tête à la vue d’Édouard repoussant des rats, à grand coup d’épée le
long de l’étroit couloir.
─ Pourriez-vous vous
concentrer sur la marche et vous dépêchez, nous avons les saintes reliques à
sauver, surenchérit-il en entamant la descente d’une pente presque aussi raide
qu’un bâton planté à 90 degrés.
Cachés dans l’ombre du porche, à
côté des écuries de l’auberge du cheval blanc, le moine penchait la tête afin
d’apercevoir un quelconque traître.
─ Vite ! La voie
est libre, chuchota-t-il.
Ils rasèrent les murs et
entrèrent dans les écuries, accueillis par la douce chaleur fauve des équidés.
Des hennissements les démasquèrent sans l’ombre d’une subtilité. Alors craignant
l’arrivée du maréchal, le moine lui fit des signes, aussi ridicules que
discrets, pour qu’ils se cachent derrière un ballot de foin, à côté du box de
Graal.
─ Maintenant la clef !
À vous de jouer, marmonna le moine devant un Édouard tétanisé.
─ Quelle clef ?
─ Ciel ! Quel
niguedouille le seigneur m’a confié ! Je vous préviens, si on retrouve les
reliques, ne comptez pas sur moi pour vous aider au noviciat !
Contrit, Édouard haussa les
épaules et baissa les yeux. Le moine en profita pour escalader le mur du box et
se laissa tomber dans la paille. Il s’approcha de Graal qui s’affolait devant
cette petite grenouille brune, sautillant autour de lui, et farfouillant dans ses
crins. Soudain, un petit cri aigu retentit et le moine sauta en l’air, tel un
enfant ayant chopé le bocal de bonbons, une petite chose brillante entre ses
doigts boudinés. Il s’agissait d’une étoile à cinq branches reliées par un
bras, le tout en or fin. Elle était tressée sous les crins de la têtière de Graal.
La remontée fut moins
tumultueuse, mais aussi moins facile, car descendre des pavés aussi glissants
qu’une patinoire n’était pas aussi aisé que de les remonter ! Et bien mal
en avait pris au moine, qui n’en menait pas large en se retenant de tomber en s’accrochant
à la veste d’Édouard, qui sans rire sous cape, prenait son rôle de guide très
au sérieux.
Le plus compliqué fut de raser
les murs de l’immense escalier du Grand Degré qui à chaque niveau renouvelait
ses larges marches, sans espoir de recoin pour se cacher. Heureusement,
l’incendie qui faisait rage leur laissait la voie libre, et le moine gravissait
les marches comme s’il montait au paradis, le pied léger, le sourire aux lèvres.
Édouard épuisé, priait pour que ses jambes le portent encore un peu.
Arrivés au troisième étage, ils
traversèrent ensemble le chœur gothique de l’église, courant, oubliant jusqu’aux
bases élémentaires de la circulation, ils n’y avaient plus qu’une mission, une
obsession : les reliques sacrées. Alors en traversant le transept, puis la
nef, ils sentirent le souffle du vent d’ouest soulever jusqu’à chaque petit
cheveu de leur nuque. Non, Édouard ne ferait pas preuve de superstition !
Même si l’ouest est le lieu où le soleil se couche, et là où résident les morts,
ici, Dieu veille sur les vivants. Mais toutes ces saines pensées furent peines
perdues, et terrorisé par sa propre imagination, il s’arrêta net devant la
grande porte à double battant, incapable de faire un pas de plus. Le moine,
nullement perturbé, poursuivit sa course et s’arrêta net au milieu de
l’esplanade, ses quelques cheveux balayés par les bourrasques marines.
─ Édouard, à vous
maintenant !
─ Je ne peux pas… J’ai
un mauvais pressentiment !
─ Si vous ne voulez
pas que votre pressentiment se transforme en un sabot bien élancé dans votre
séant, vous avez intérêt à rappliquer et au plus vite ! Sapristi, mais qui
m’a envoyé un pleutre pareil !
Édouard avança prudemment et
tenta de repérer des chiffres pairs sur le sol. Rien !
─ Que recherchez-vous ?
─ Des chiffres pairs
et une pyramide.
En regardant d’un peu plus près
les dalles centrales de la terrasse, le moine commença à gratter du pied de la
mousse agglutinée le long des rainures.
─ Venez m’aider !
Au lieu de rester planté là sur une jambe, comme un héron déplumé !
Avec son épée, Édouard gratta les
plaques de pierre et au milieu de l’une d’entre elles, ils découvrirent des
barres gravées par paires : une ligne de huit, six, puis quatre traits et
enfin le chiffre huit, en haut de la pyramide des marques.
─ Je ne trouve pas l’infini,
dans tout cela !
─ Voyons, jeune
nobliau ! Seriez-vous sot ? Ne voyez-vous pas que le huit c’est
l’infini dans la position verticale ?
Édouard s’agenouilla sur le sol et
souleva la mousse qui était rentrée dans les ronds du huit. Une encoche
s’entraperçut et le moine y glissa le bras de l’étoile qu’il tourna dans les
sens des aiguilles d’une montre. Un bruit de pierres et de cavité emplit
l’espace et les dalles se soulevèrent, formant une croix de la taille d’un
homme, tel un tombeau. Le moine s’y précipita et appliqua au centre de la
croix, l’étoile à cinq branches. Les pierres vibrèrent, et s’ouvrirent dans une
nuée de poussière.
Quelle ne fut pas leur surprise,
quand ils comprirent que personne ne pourrait jamais emporter les reliques…
Un archange aussi beau, que
lumineusement divin, se leva, une épée à la main, une Sainte-Croix sur son cœur
et une balance accrochée à sa ceinture. Il sourit à ses amis et leur fit signe
de se placer derrière lui, alors que déboulait, hors d’haleine et hors de lui
ce traite d’abbé, enfin son visage, car pour le reste il s’agissait d’un
seigneur en habit d’apparat, suivi d’un maréchal crachant sueur et noms
d’oiseau à ceux qui l’avaient dupé.
Saint-Michel demanda aux deux
félons de s’agenouiller devant l’éternel et de demander le pardon pour leurs
actes de cruauté. Mais les yeux dégoulinants de coulées de haine, ils se
ruèrent en chœur vers l’archange si grand de l’amour de Dieu. Ils n’eurent pas
le temps de l’approcher que son épée toucha leur cœur avec grâce, et tel un
coquillage leur poitrine s’ouvrit… Ils tombèrent sur le parvis, telles des
poupées de chiffon.
La coquille était vide. Saint
Michel s’approcha et telle une extension de la main de dieu, sa balance à la
main, il remplit d’un côté de justice et de l’autre d’empathie les deux parties
vides de ces cœurs sans vie.
Après le miracle, car ce geste n’était
qu’une infime partie de l’amour de Dieu, des trombes d’eau s’abattirent sur
l’aile ravagée par les flammes, rétablissant l’harmonie dans le cycle des
éléments. Aucun moine ne mourut ce soir-là, grâce à Dieu…
L’archange remit au moine, un sac
doté de trois reliques : une pierre, un morceau de tissu et des os appartenant
à Saint Aubert, le bâtisseur du Mont, afin d’effacer de la mémoire des hommes son
existence terrestre.
Peu après cet exploit, Édouard ne
devint jamais novice. Il reçut l’adoubement, devint chevalier du Temple et fit le serment de protéger d’autres reliques sacrées.
Quant à la suite, elle ne peut pas être contée. Car le nouveau repos de Saint-Michel se doit d'être respecté et à
l’abri des coquilles humaines qui errent de par le monde, rendues folles par
les abysses qui règnent dans leur cœur, vide d’émotion.
Nouvelle écrite par Mme Stéphanie Gangotek. Œuvre protégée, mai 2014.
Bien mené/rythmé, bien décrit, le rebondissement final est superbe!
RépondreSupprimerMerci ! Il a été écrit en une soirée pour démontrer à mon fils, se désespérant de n'avoir que quelques jours pour écrire une nouvelle, que cela était possible. Le thème était imposé, après j'ai brodé. Je me suis fait plaisir et c'est le principal ! :) Bises !
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