dimanche 1 juin 2014

Une nouvelle :



Cette nouvelle a été créée par Mme Gangotek Stéphanie et est protégée, veuillez respecter la propriété intellectuelle, pas d'utilisation commerciale, pas de modification et citer l'auteur.


La disparition des reliques



Un beau matin, Édouard reçut une lettre estampillée de la congrégation des moines bénédictins, acceptant sa demande pour devenir novice. C’était un jeune nobliau, tout juste âgé de 25 ans qui n’avait jamais quitté le domaine seigneurial et familial ; il redoutait et s’impatientait à la fois de faire ce pèlerinage jusqu’au Mont Saint-Michel. Le voyage risquait d’être périlleux et au-delà des bandits de grands chemins, il devrait traverser la baie si réputée pour sa beauté, mais aussi pour ses dangers. Il ne savait pas ce qui l’attendrait au détour de son périple, cependant il avait confiance en Dieu pour guider ses pas jusqu’à l’abbaye et sans encombre. 


Dès l’aube il partit, accompagné d’un groupe de pèlerins qui se dévouaient à leur foi. Moultes embûches dues à l’hiver pluvieux de Normandie, ainsi que moultes embuscades de brigands eurent raison de leurs équipages. Nombreux furent ceux qui rebroussèrent chemin, nombreux furent ceux qui y perdirent la vie. Finalement, seul et armé de ses prières, Édouard entama la longue traversée de la baie, jusqu’à Tomblaine ; où y brûlant sa dernière bougie, agenouillé devant l’éternel et le mont presque à ses pieds, il demanda une ultime protection à Dieu. Bravant le brouillard, les sables mouvants, et la marée qui remontait à une allure diabolique, son fidèle destrier le tira de tous ces dangers. En vie et trempés de bruines, ils passèrent le pont-levis, les sabots de Graal résonnant sur les pavés de pierre dominés par les hautes murailles et l’abbaye ; En haut du clocher, Saint-Michel brillait de tous ses feux et perçait la brume de cette fin de journée de ses éclats dorés, tels des rayons prophétiques éclairant chacun de ses pas jusqu’à l’auberge de l’entrée du Mont. 


Un homme trapu et de petite taille, vêtu d’un tablier de maréchal charbonneux de suie, sortit par-dessous une potence, forgée à l’image d’un cheval qui se cabrait et aussi noir que l’ébène ; une pancarte gravée dans le bois annonçait : au cheval blanc. D’un vulgaire signe de tête, sans un regard, il saisit Graal d’une rêne et l’emmena jusqu’à une porte de box, où la douce odeur du foin et du mash le rassura sur le gîte et le couvert de son cher compagnon.   


Face aux écuries, un moine tonsuré au visage rond et bienveillant, l’accueillit devant le pas-de-porte de l’auberge qui diffusait une lumière orangée et une odeur réconfortante de feu de bois, associée au plus doux des fumets de gibier. Alors que l’eau à la bouche, il laissait à regret ce confort derrière lui en suivant le religieux, il se retourna instinctivement vers ce lieu hospitalier et vit que l’enseigne de l’hôtel  n’était autre qu’un cheval se pointant, aussi blanc que son comparse d’en face était noir, lui laissant un arrière-goût de mauvais pressentiments et d’angoisses... 


Passant un porche sombre, où leurs pas raisonnèrent autant que son imagination s’enflammait, il observait les pierres dégoulinantes d’humidité et de salpêtre, ainsi que la petite ruelle qui se rétrécissait face à lui et s’élevait vers l’abbaye, bordée d’échoppes fermées et ornées de potences noires. Soudain, un coup de vent fit grincer une enseigne en forme de licorne, tandis que déstabilisé, il trébucha sur un pavé plus épais et glissant que les autres. À terre et peinant à se relever, il aperçut alors entre deux boutiques, une silhouette encapuchonnée, revêtue d’une bure aussi noire que la nuit. Elle s’engouffra  dans un petit passage aussi large qu’un couteau, et seul l’éclat d’un crucifix ivoire, doté de deux rubis aussi éclatants que les flammes des enfers, réverbéra les premiers rayons de la lune. 


Encore sous le choc de cette apparition démoniaque, il se signa fébrilement et courut se réfugier auprès du moine qui semblait ne pas faire cas des petits pavés aussi glissants que des savonnettes, tenant fermement dans sa main un flambeau. Rien ne pouvait distraire Édouard de la longue montée de cette ruelle ; les échoppes avec leur étage en encorbellement étaient aussi sombres que fermées avec de lourdes chaînes cadenassées. Leurs habitants avaient délibérément quitté leur lieu de travail et d’habitat. Mais pourquoi ? 


Tout à ses réflexions, ils abordèrent une longue et interminable volée de marches, la torche crépitante faisait vaciller leurs ombres, qui se dessinaient le long des murets ruisselant des embruns de la journée. Ses jambes le brûlaient de fatigue et au bout d’un énième palier, il vit au bout du virage, l’abbaye se dresser devant lui. Encore fallait-il grimper un escalier qui semblait aussi interminable qu’à pic ! Dieu le mettait à l’épreuve… 


Sous un préau reposant sur des piliers d’ogives, le moine bifurqua brutalement, le laissant sur le seuil et dans le noir, armé de son courage comme seul bagage. Alors qu’une lueur orangée s’agrandissait au fur et à mesure qu’une ombre progressait le long des voûtes de pierre blanches, un mélange de panique et d’adrénaline lui emplit les veines. Un homme aussi fin que de haute stature, le nez aquilin, les lèvres minces et pâles, les yeux enfoncés, petits, presque aussi glauques et pervers, qu’un lion affamé dans une arène, le fixa intensément. L’instant semblait s’éterniser, pas un souffle de vent, ni un mouvement de cils ne bougeait chez ce bénédictin. Seul, son crucifix, ivoire orné de deux rubis éclatants, dansait encore le long de sa bure noire. Édouard, interloqué, contrôlait ses pensées, la vocation et le vœu de pauvreté mis à l’épreuve par une certaine réalité…


─ Veuillez me suivre jusqu’à l’aumônerie, où le prieur se chargera de vous conduire à l’hôtellerie afin de vous y installer pour la nuit. Le deuxième étage et la salle des hôtes ne sont pas accessibles pour le moment, annonça l’abbé aussi froidement qu’un crotale mort depuis deux semaines. 


N’osant répliquer, son ventre gargouilla une insalubre réponse, mais l’abbé l’avait déjà devancé sans tenir compte de l’être humain qu’il était censé accueillir. Le long d’un interminable couloir, aucun flambeau ne brillait. Arrivés dans une longue salle faite de six piliers centraux, le prieur l’attendait et Édouard se retournant pour saluer le prêtre, constata qu’il avait déjà disparu. 


─ Suivez-moi et en silence, marmonna un être aussi éthéré que livide, au point que l’on aurait pu passer la main à travers lui, tellement il était frêle. 


─ Puis-je solliciter un repas chaud afin de me remettre d’un long périple ? répliqua Édouard.

Pour toute réponse, le prieur jeta un œil aussi gris qu’un poisson mort depuis 10 jours sur un étal de marché, vers une petite pancarte en bois, où dessus était gravée une citation de Saint Benoît.


« Ne point aimer à parler beaucoup, aimer le jeûne »


Au moins si lui avait compris, son estomac devrait s’en satisfaire, l’épreuve était rude et longue ; quant à sa foi, elle semblait vaciller… Au dortoir de l’hôtellerie, il s’écroula de fatigue, encore tout habillé de ses vêtements humides et poisseux, sans même que le prieur lui eut accordé le moindre regard en fermant la porte de son réduit. 


La nuit fut de courte durée, une heure ? Deux heures ? Édouard se réveilla trempé de fièvre, avec des difficultés pour respirer. Des cris, une odeur âcre de fumée et les crépitements du bois le ramèrent brusquement à la réalité. Ce n’était pas lui qui avait trop chaud, mais les linteaux de bois de sa chambre qui étaient en flammes.


D’un bond il se jeta sur la porte, qui fermée à double tour, ne rencontra que son épaule, douloureuse… Il lança son épée au travers de la clenche en fer qui céda dans un bruit de ferraille rouillée. L’appel d’air raviva encore plus les flammes léchant maintenant les murs. Encerclé, il courut le long d’un corridor et croisa des moines affolés, armés de brocs, comme si un peu d’eau bénite pourrait éteindre toute cette folie ! 


Édouard filait entre les moines qui arrivaient en masse se faire griller comme des moucherons sur une torche. Arrivé devant un grand escalier, le fameux Grand Degré l’attendait de pied ferme pour l’emmener vers la deuxième étape de son épreuve et le deuxième étage de l’abbaye. 


Étonnamment calme, ce niveau ne reflétait pas l’aile en flammes de l’hôtellerie, étouffante, toxique de fumée et aussi terrifiante qu’une traversée vers l’enfer. Il ne croisa ni prieur, et encore moins l’abbé et se dépêcha de foncer jusqu’aux appartements de ce dernier, espérant trouver des réponses. Bifurquant à droite du Grand Degré, il s’aperçut qu’il était arrivé dans la crypte des gros piliers, et qu’il avait raté la sortie des appartements abbatiaux. En rebroussant chemin, il laissa son cœur le guider vers un petit passage, qui l’emmena jusqu’à la chapelle Saint-Martin. À genoux devant l’autel, il pria, mais juste avec son cœur et la peur qui le taraudait pour les moines, risquant de finir aussi grillés que des langoustes un jour de fête. 


Aussi étrange que tout ce qui fut lors de cette soirée, une explosion illumina le ciel et un vitrail éclaira une porte dérobée au coin du chœur, tel un signe divin. Ni une, ni deux, il prit ses jambes à son cou et courut à en perdre haleine le long du couloir, puis déboula en travers du Grand Degré qui faisait face à une petite ouverture dissimulée dans l’obscurité. Il s’engouffra à l’intérieur et après un escalier en colimaçon, il faillit s’étaler de tout son long en se prenant les pieds dans un tapis persan. La pièce spacieuse et agrémentée d’un mobilier de très belle facture détonnait par rapport à l’environnement qu’il venait de quitter, aussi austère et désert que Gobi lui-même.  


Soudain, de faibles gémissements l’interpellèrent et il se dirigea vers la source du bruit. Contournant un bureau en bois de rose et en cuir fauve, il ne rencontra qu’un meuble orné d’une scène biblique, retraçant l’épisode de Saint Michel terrassant le dragon. Les gémissements se transformèrent en cris angoissés et il tenta bêtement de percer ce buffet en chêne sculpté dans la masse, à coups d’épée ! Autant finir de creuser la tombe du pauvre hère qui gisait à l’intérieur avec une cuillère en bois ! Mais c’était sans compter l’éclat du divin sur la lame, car elle ripa le long du cou du dragon et s’enfonça à l’intérieur, créant un déclic qui déclencha l’ouverture de cette prison. 


Quelle ne fut pas sa surprise quant au lieu d’un être à l’agonie, il rencontra un escalier qui descendait dans les abysses des enfers ! À moins que ce dernier devienne pavé de bonnes intentions, ce dont le preux Édouard doutait sérieusement, il se sentait de plus en plus investi d’une mission divine ; il n’hésita pas un instant et descendit l’escalier, aussi glissant que les pavés des ruelles. Il déboucha sur une pièce à plafond bas, où un homme gisait à même la pierre dans la tenue abbatiale, ligoté tel un saucisson. 


─ Vite ! Les reliques ! Il a volé les saintes reliques, répétait en boucle le saint homme, les yeux exorbités, la peau déshydratée et fripée comme un vieux parchemin, laissant Édouard dans le plus grand des tourments. 


Celui qui a fait cela goûtera au fil de son épée, foi de fils de templier ! Il le jura devant Dieu, et comme il n’avait pas encore prêté serment à une vie de novice bénédictin, il était encore libre d’occire qui osait s’en prendre à un représentant de Dieu. La rage l’empoigna et il coupa avec autant de fureur les liens qui cisaillaient les articulations du pauvre abbé. 


─ Quel est le félon qui a osé vous infliger un tel supplice ? Que je lui passe mon épée en travers de son cœur sans vie ! 


─ L’abbé qui se fait passer pour moi et qui m’a trahi avec un faux émissaire et parchemin de notre bien-aimée Pape. Il m’a enfermé ici depuis des semaines, me maintenant en vie afin de savoir où étaient cachées les saintes reliques. Malheureusement ce soir, vous les lui avez apportées sur un plateau d’argent !


─ Que dites-vous ? Impossible, je n’ai croisé cet immonde personnage qu’au pied de l’abbaye et il y a quelques heures seulement !


─ Non, vous ne comprenez pas ! C’est vous qui deviez me remettre la clef, par l’intermédiaire de votre père, le gardien de l’ordre des reliques. 


─ Pardon monseigneur, mais auriez-vous bu ? 


─ Non, pas depuis des jours et à mon grand désarroi ! Écoutez et silence ! Votre père est un templier et était le gardien de la clef où sont conservées les reliques.


─ Certes mais moi, que puis-je faire ?


─ Il faut vite arriver avant ce traître, si nous ne voulons pas qu’elles soient vendues pour quelques coffres d’argent à des infidèles ! Il a dû forcément voler la clef pendant votre sommeil.


─ Je vous jure que je n’ai point transporté de clef !


─ La clef, c’est la pièce qui permet d’accéder au Graal, aux saintes reliques ! s’écria l’abbé entre deux quintes de toux, un filet de sang s’écoulant du coin de ses lèvres. 


─ Graal ! Vous avez prononcé le nom de mon cheval !


─ Voilà qui permet d’y voir clair, votre cheval est la clef. Trouvez-le vite et allez quérir les reliques avant que cet abbé de pacotille ne les vole ! Vous devrez les emmener sur la terrasse de l’ouest, au troisième étage, là vous verrez des chiffres de gravés. Des chiffres pairs, l’infini est la clef de la pyramide… Vite … Courrez… 


Dans un dernier souffle, l’abbé s’éteignit dans les bras d’Édouard qui le souleva délicatement et alla l’étendre sur le lit de brocart et de soie, ressemblant si peu à cet homme de foi. Déterminé, il fila plus vite que ces jambes le portaient et il croisa des moines barbouillés de suie, en traversant les couloirs du premier étage. Au détour d’un pilier un moine l’interpella, c’était celui de l’auberge, toujours aussi jovial que son sourire bon enfant.


─ Vite venez, je vais vous aider à mettre en sécurité les reliques !


─ Comment êtes-vous au courant ? 


─ Les voies du seigneur sont impénétrables et en l’occurrence, il m’a doté d’excellentes oreilles qui m’ont permis d’espionner le traître, et de savoir qu’il est en ce moment même en train de récupérer Graal pour obtenir la clef ! 


─ Nom de dieu ! 


─ Ah ! On ne blasphème pas dans la maison du seigneur ! s’écria le moine, en pointant le doigt vers Édouard, redressant sa tête chauve et sa bedaine simultanément dans un élan de paternalisme. Allez, dépêchez-vous ! Ce vilain ne connaît pas les raccourcis pour arriver aux écuries !


Les raccourcis en question furent aussi étroits que des trous de souris, et consistaient en différents passages, traversant de part en part le Mont et les maisons qui y étaient accolées. Le moine bien que loin d’être svelte et athlétique, devançait Édouard de deux longueurs, se retournant vers lui comme s’il était un boulet à ses pieds ; il soupirait en marmonnant à chaque nouveau virage. L’eau croupie des égouts rendait encore plus visqueux les pavés, et Édouard ressemblait à un grand échalas aussi souple qu’une gazelle dans un marécage. 


─ Seigneur, votre amour m’éclaire chaque jour, mais là ! Pourquoi m’envoyez ce jeune benêt aussi agile qu’inutile ! Seigneur éclairez-moi ! s’écriait le moine en secouant la tête à la vue d’Édouard repoussant des rats, à grand coup d’épée le long de l’étroit couloir. 


─ Pourriez-vous vous concentrer sur la marche et vous dépêchez, nous avons les saintes reliques à sauver, surenchérit-il en entamant la descente d’une pente presque aussi raide qu’un bâton planté à 90 degrés. 


Cachés dans l’ombre du porche, à côté des écuries de l’auberge du cheval blanc, le moine penchait la tête afin d’apercevoir un quelconque traître. 


─ Vite ! La voie est libre, chuchota-t-il.


Ils rasèrent les murs et entrèrent dans les écuries, accueillis par la douce chaleur fauve des équidés. Des hennissements les démasquèrent sans l’ombre d’une subtilité. Alors craignant l’arrivée du maréchal, le moine lui fit des signes, aussi ridicules que discrets, pour qu’ils se cachent derrière un ballot de foin, à côté du box de Graal. 


─ Maintenant la clef ! À vous de jouer, marmonna le moine devant un Édouard tétanisé. 


─ Quelle clef ? 


─ Ciel ! Quel niguedouille le seigneur m’a confié ! Je vous préviens, si on retrouve les reliques, ne comptez pas sur moi pour vous aider au noviciat !


Contrit, Édouard haussa les épaules et baissa les yeux. Le moine en profita pour escalader le mur du box et se laissa tomber dans la paille. Il s’approcha de Graal qui s’affolait devant cette petite grenouille brune, sautillant autour de lui, et farfouillant dans ses crins. Soudain, un petit cri aigu retentit et le moine sauta en l’air, tel un enfant ayant chopé le bocal de bonbons, une petite chose brillante entre ses doigts boudinés. Il s’agissait d’une étoile à cinq branches reliées par un bras, le tout en or fin. Elle était tressée sous les crins de la têtière de Graal. 


La remontée fut moins tumultueuse, mais aussi moins facile, car descendre des pavés aussi glissants qu’une patinoire n’était pas aussi aisé que de les remonter ! Et bien mal en avait pris au moine, qui n’en menait pas large en se retenant de tomber en s’accrochant à la veste d’Édouard, qui sans rire sous cape, prenait son rôle de guide très au sérieux.  


Le plus compliqué fut de raser les murs de l’immense escalier du Grand Degré qui à chaque niveau renouvelait ses larges marches, sans espoir de recoin pour se cacher. Heureusement, l’incendie qui faisait rage leur laissait la voie libre, et le moine gravissait les marches comme s’il montait au paradis, le pied léger, le sourire aux lèvres. Édouard épuisé, priait pour que ses jambes le portent encore un peu.


Arrivés au troisième étage, ils traversèrent ensemble le chœur gothique de l’église, courant, oubliant jusqu’aux bases élémentaires de la circulation, ils n’y avaient plus qu’une mission, une obsession : les reliques sacrées. Alors en traversant le transept, puis la nef, ils sentirent le souffle du vent d’ouest soulever jusqu’à chaque petit cheveu de leur nuque. Non, Édouard ne ferait pas preuve de superstition ! Même si l’ouest est le lieu où le soleil se couche, et là où résident les morts, ici, Dieu veille sur les vivants. Mais toutes ces saines pensées furent peines perdues, et terrorisé par sa propre imagination, il s’arrêta net devant la grande porte à double battant, incapable de faire un pas de plus. Le moine, nullement perturbé, poursuivit sa course et s’arrêta net au milieu de l’esplanade, ses quelques cheveux balayés par les bourrasques marines. 


─ Édouard, à vous maintenant !


─ Je ne peux pas… J’ai un mauvais pressentiment !


─ Si vous ne voulez pas que votre pressentiment se transforme en un sabot bien élancé dans votre séant, vous avez intérêt à rappliquer et au plus vite ! Sapristi, mais qui m’a envoyé un pleutre pareil !


Édouard avança prudemment et tenta de repérer des chiffres pairs sur le sol. Rien ! 


─ Que recherchez-vous ? 


─ Des chiffres pairs et une pyramide.


En regardant d’un peu plus près les dalles centrales de la terrasse, le moine commença à gratter du pied de la mousse agglutinée le long des rainures. 


─ Venez m’aider ! Au lieu de rester planté là sur une jambe, comme un héron déplumé ! 


Avec son épée, Édouard gratta les plaques de pierre et au milieu de l’une d’entre elles, ils découvrirent des barres gravées par paires : une ligne de huit, six, puis quatre traits et enfin le chiffre huit, en haut de la pyramide des marques. 


─ Je ne trouve pas l’infini, dans tout cela !


─ Voyons, jeune nobliau ! Seriez-vous sot ? Ne voyez-vous pas que le huit c’est l’infini dans la position verticale ? 


Édouard s’agenouilla sur le sol et souleva la mousse qui était rentrée dans les ronds du huit. Une encoche s’entraperçut et le moine y glissa le bras de l’étoile qu’il tourna dans les sens des aiguilles d’une montre. Un bruit de pierres et de cavité emplit l’espace et les dalles se soulevèrent, formant une croix de la taille d’un homme, tel un tombeau. Le moine s’y précipita et appliqua au centre de la croix, l’étoile à cinq branches. Les pierres vibrèrent, et s’ouvrirent dans une nuée de poussière. 


Quelle ne fut pas leur surprise, quand ils comprirent que personne ne pourrait jamais emporter les reliques… 


Un archange aussi beau, que lumineusement divin, se leva, une épée à la main, une Sainte-Croix sur son cœur et une balance accrochée à sa ceinture. Il sourit à ses amis et leur fit signe de se placer derrière lui, alors que déboulait, hors d’haleine et hors de lui ce traite d’abbé, enfin son visage, car pour le reste il s’agissait d’un seigneur en habit d’apparat, suivi d’un maréchal crachant sueur et noms d’oiseau à ceux qui l’avaient dupé. 


Saint-Michel demanda aux deux félons de s’agenouiller devant l’éternel et de demander le pardon pour leurs actes de cruauté. Mais les yeux dégoulinants de coulées de haine, ils se ruèrent en chœur vers l’archange si grand de l’amour de Dieu. Ils n’eurent pas le temps de l’approcher que son épée toucha leur cœur avec grâce, et tel un coquillage leur poitrine s’ouvrit… Ils tombèrent sur le parvis, telles des poupées de chiffon.


La coquille était vide. Saint Michel s’approcha et telle une extension de la main de dieu, sa balance à la main, il remplit d’un côté de justice et de l’autre d’empathie les deux parties vides de ces cœurs sans vie.


Après le miracle, car ce geste n’était qu’une infime partie de l’amour de Dieu, des trombes d’eau s’abattirent sur l’aile ravagée par les flammes, rétablissant l’harmonie dans le cycle des éléments. Aucun moine ne mourut ce soir-là, grâce à Dieu… 


L’archange remit au moine, un sac doté de trois reliques : une pierre, un morceau de tissu et des os appartenant à Saint Aubert, le bâtisseur du Mont, afin d’effacer de la mémoire des hommes son existence terrestre. 


Peu après cet exploit, Édouard ne devint jamais novice. Il reçut l’adoubement, devint chevalier du Temple et fit le serment de protéger d’autres reliques sacrées.


Quant à la suite, elle ne peut pas être contée. Car le nouveau repos de Saint-Michel se doit d'être respecté et à l’abri des coquilles humaines qui errent de par le monde, rendues folles par les abysses qui règnent dans leur cœur, vide d’émotion.



 Nouvelle écrite par Mme Stéphanie Gangotek. Œuvre protégée, mai 2014. 


2 commentaires:

  1. Bien mené/rythmé, bien décrit, le rebondissement final est superbe!

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    1. Merci ! Il a été écrit en une soirée pour démontrer à mon fils, se désespérant de n'avoir que quelques jours pour écrire une nouvelle, que cela était possible. Le thème était imposé, après j'ai brodé. Je me suis fait plaisir et c'est le principal ! :) Bises !

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